Partager

Kyrielle de consommateurs de chansons issues de la HMI se plaignent depuis toujours de la tendance fâcheuse des paroliers à écrire n’importe quoi pour mettre dans les chansons pourvu que la mélodie soit OK. Le groupe Enposib à plusieurs occasions précise, accentue et confirme cette perception avec des textes les uns plus flous que les autres, des textes aux contenus à la fois légers et alambiqués. Un texte sur 3 signé Enposib contient soit des déchets sémantiques, ou des fautes relatives aux métarègles de la cohérence textuelle. Malheureusement la fraicheur du « groove », l’inventivité rythmique et le caractère hyper entrainant des refrains dont le groupe est capable masquent l’évidence de leur faiblesse lyricale. Le texte de la chanson titrée « Kote W Te Ye » sur l’album « Kamasootra » illustre ce raisonnement. 

Il s’agit d’un texte expressivo-argumentatif qui s’inscrit dans une situation de communication précise entre deux protagonistes. Le protagoniste principal (homme), s’adressant au protagoniste secondaire (femme), étale ses sentiments, il va jusqu’à mettre cette dernière sur un piédestal en ayant recours à tout un arsenal lyrical en lui faisant croire que sa venue dans sa vie est opportune : « Ki kote w te ye dat sa a..? Kè m pa fè m mal ankò… », que sa présence auprès de lui le rend amnésique en ce qui concerne ses relations sentimentales passées : « Ou fè m bliye ansyen menaj mwen yo… » Jusque-là ça passe. Mais c’est parti en cacahuète dans le texte quand le principal protagoniste a commencé à citer les nombreuses ex petites amies qu’il a soi-disant oubliées :

« Ou fè mwen bliye ti fanm 83

Cheri ou fè mwen bliye ti bebi Pari a

Ou fè mwen bliye moun ki sou Wout Frè m nan

Ou fè mwen bliye, m bliye, m bliye nèt

Ou fè mwen bliye ti fanm ki Kanada

Cheri ou fè mwen bliye ti bebi Leyogàn nan

Ou fè mwen bliye ti doudou Jakmel la

Yoww ! Cheri m fè ayzaymè »

Au comble de l’hypocrisie, ou plus techniquement, de l’incohérence ! On ne fait pas exprès d’oublier quelqu’un, du coup, il est impossible d’oublier des gens et se rappeler qu’on les oublie au point d’évoquer leur situation et leur position aux oubliettes. Si on oublie quelqu’un, on oublie forcément, sur le coup, où il a vécu ou vit encore. Dire dans le même texte qu’on oublie des gens pour ensuite se mettre à les énumérer en fonction de leur pays, commune ou quartier de résidence revient à se contredire. D’où la violation de la métarègle de non-contradiction en matière de cohérence textuelle qui stipule que les idées d’un texte doivent suivre une ligne qui ne se retourne pas sur elle-même et ou contre elle-même. Dans le texte de cette chanson c’est le contraire qui est observable. Et ça s’aggrave encore plus parce que le principal protagoniste s’est mis à valoriser ses ex petites amies à la face de son actuelle amoureuse en utilisant des termes affectifs pour les désigner « ti doudou Jakmel la… Ti bebi Pari… ». Certains lyricistes et linguistes consultés par Rythmes 509 pour les besoins de l’article dont James Dufresne, sont d’avis que cela démontre qu’on est encore plus loin de la réalité amnésique sur laquelle est construit le discours du principal protagoniste.

Pour ceux qui ne croyaient pas que le souci de remplissage pouvait l’emporter sur la cohérence dans un texte de chanson, un petit passage en revue de certains textes dans la HMI suffit pour effacer net tout scepticisme à ce sujet. On n’oserait pas dire que ça n’arrive que dans notre « industrie » mais le caractère bancal et les lacunes qu’elle accuse notamment en termes de critique font qu’elle prête le flanc à ce genre de dérive beaucoup plus que partout ailleurs. 

Kensley Marcel


Partager