Jacques Stephen Alexis
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Dans le fleuron des illustres écrivains haïtiens de la génération contemporaine, le nom de Jacques Stephen Alexis est inscrit à l’encre forte. Si la ville des Gonaïves l’a vu naître le 22 avril 1922, c’était pour, bien sûr, devenir un CITOYEN du monde grâce à ses statuts d’homme politique engagé, de médecin neurologue émérite, d’écrivain, romancier et poète aguerri. L’homme aux multiples chapeaux était principalement connu pour ses prises de positions vis-à-vis de la politique menée par François Duvalier. Il s’était montré très résistant face à la dictature de ce dernier sous le régime duquel il a été assassiné en 1961. Il n’avait que 39 ans. 

Cette année 2022 suinte le centenaire de naissance de cet immense et légendaire écrivain consacré dont on ne cesse de vanter les qualités et les mérites exceptionnelles pour avoir inventé le genre, le réalisme merveilleux. 

Plus qu’un brillant neurologue, un intellectuel raffiné et articulé, un romancier accompli, Jacques Stephen Alexis fut avant tout un humaniste, un résistant et un militant fortement engagé dans le débat social, esthéticien, politique et anticolonial de son époque. Il demeure pour beaucoup un écrivain majeur de la littérature caribéenne et haïtienne. Il a publié quatre chefs-d’œuvre qui ont été étudiés dans les plus grandes universités du monde ; des États-Unis à l’Afrique francophone en passant par l’Amérique Latine jusqu’en France. Son premier grand roman « Compère Général Soleil » est publié en 1955. S’en suivent : « Les Arbres Musiciens » publié en 1957, « L’espace d’un cillement » sorti en 1959, « Romancéro aux étoiles » édité en 1960 et « L’étoile absinthe », la suite posthume de « L’espace d’un cillement » sorti en 2017, 95 ans après sa disparition. 

Jacques Stephen Alexis est un écrivain de soleil, de rires, de virilité, de rara, qui connaît l’ambiance festive des bordels et l’attente fluviale des prostituées. L’auteur de « Romancéro aux étoiles » avait un goût très prononcé pour le mouvement rara, dû, sans doute, à son anniversaire de naissance qui coïncidence de très souvent avec cette manifestation culturelle, dans le calendrier, qui a vu le jour depuis le temps des Indiens pour la célébration de l’équinoxe du printemps. Toute la beauté de la pensée et de la création de Jacques Stephen Alexis réside dans l’insaisissable parfum de son souffle d’écrivain. 

Des œuvres et des pensées à visiter

De son célèbre roman « Compère Général Soleil » en passant par les tunnels merveilleux de « Romancéro aux étoiles » et « Les Arbres Musiciens » avant de terminer voluptueusement ma visite exploratrice dans la sensualité dévorante de « L’espace d’un cillement », le rêve de Jacques Stephen Alexis ne cesse d’exhaler son parfum marxiste et révolutionnaire. En sa qualité de neurologue, il sait comment jouer avec les feux de nos émotions et tirer les ficelles de nos rêves. Dans sa cuisine de création, on y trouve des recettes de fortes sensations d’ésotérisme, de convoitises et de désirs pimentées par un réalisme merveilleux qui sort de l’utérus des rêves éparpillés. 

Un créateur prolifique

Jacques Stephen Alexis est un marchand de soleil, un passeur de rêves. Un mendiant d’amour, un créateur de doute, un jongleur d’absurdité qu’on ne saisira jamais d’un seul miroir. Un créateur d’horizons, un peintre des seins, un homme raffiné de haute culture qui embrasse toutes les subtilités microscopiques de la vie, de l’amour et de la mort. Tout le paysage de son univers romanesque est coiffé de mélodie multicolore qui allait swinguer d’envie les mots en suintant de poésie, de bonheur et de rage. Sous la plume mélodieuse d’Alexis, les mots chantent, s’agitent, dansent, se déambulent, souffrent, éjaculent de pluies ensoleillées, de feux aquatiques et de brises pimentées. Sous la tonnelle du roman « Compère Général Soleil », le romancier nous plonge dans l’océan musicalement crasseux et sordide d’un homme, Hilarion Hilarius, ce damné de la terre, le héros principal du roman qui a un « grand-goût » et qui investit la nuit et la rue pour panser les plaies de sa fringale terrible.

L’expéditeur de la belle amour humaine a servi de sa plume pour cracher des magmas de désirs, des poussières de soupirs, des carburants de sueurs, des tempêtes d’orgasme, des rivières et des mers de sperme. Son cœur palpite les tambours du soleil et sa bouche envoie des postillons qui se métamorphosent en une pluie d’amour sur la virginité de l’aube. Ses lignes donnent à la feuille blanche un orgasme éternel. 

Le poète et romancier redoutable

Si la poésie est un beau soleil qui éclaire en permanence la vitalité d’une œuvre pour la rendre immortelle, Jacques Stephen Alexis a fait briller l’astre du jour, l’astre poétique dans l’océan de ses romans. Le neurologue a fait de la poésie un antidote pour ses malaises d’illusions perdues et ses pathologies de mal du siècle.

« L’espace d’un cillement » est une œuvre construite sur le socle des sens. Une œuvre où le réalisme merveilleux a brûlé toutes les ailes de son esthétique pour sculpter le portrait glamour du personnage « La Nina Estrellila », travailleuse de sexe, grande vedette de « Sensation-Bar ». C’est un Alexis en pleine maîtrise de son art qui fait danser le choquant, le violent, le contraste, la difformité, sous la partition et le sexe gourmand d’une écriture poétiquement flamboyante. « L’espace d’un cillement » évoque aussi, par son titre, la vie matérielle de Jacques Stephen Alexis qui s’évapore seulement à 39 ans. Toutes les 39 gouttes de la vie de l’auteur de « Les Arbres Musiciens » restent condensées à l’intérieur de cette sublime bouteille romanesque qui continue à arroser le jardin de sa vision macro, de ses velléités communistes jusqu’à aujourd’hui en un siècle où concrètement, rien n’a changé. Chez Alexis, la mort et la vie s’accouplent, ne font qu’une. Elles s’embrassent, s’entrelacent et se confondent sous le soleil de la belle amour humaine pour que le grain de la révolution, de la liberté et d’une nouvelle Haïti ne meure jamais. 

La belle amour humaine de Jacques Stephen Alexis est un vin de fraternité, d’amitié, de cœur profond auréolé d’une fermentation d’amour de cent ans qu’on n’arrêtera jamais de servir aux sans voix, aux ouvriers de la sous- traitance, à ces crève-la-faim et ces sans abris pour que le soleil « alexien » ne s’éloigne jamais. Sa belle amour humaine, est une fumée de rêves qui clignote en Dambala sur les collines de la mémoire et de la mer dans l’optique d’enfanter un monde où le soleil brille véritablement pour tous. Elle nous fait transpirer d’émotions devant l’hermétisme apparent de son langage symbolique dicté par le réalisme merveilleux. 

Le soleil de Jacques Stephen Alexis frôlant l’utopie, n’est qu’une métaphore filée qui n’a rien perdu, en un siècle, de ses éclats révolutionnaires, en chantant toujours les mêmes refrains pour des rêves récurrents : « Un monde plus juste, où les hommes sans disparité sociale, peuvent savourer le froment de la vie ».

Crédit photo : Gérald Bloncourt / source : Île en île

Raphaël Bélizaire


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