/m/02_41 - Le monde est dégueulasse
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L’esthétique est omniprésente. Voilà un constat fait à l’issue de multe réflexions académiques, par des spécialistes de l’Art dont des philosophes de l’Art, historiens de l’Art et des esthéticiens. Un tel constat aurait eu plus de mérite encore s’il avait précisé que même dans le chaos caractérisant le contexte ayitien se trouve une forme d’esthétique. Depuis un bail, les consommateurs d’art avisés peuvent remarquer une tendance quasi-automatique chez les artistes ayitiens à s’inspirer de ce chaos. Ils cherchent à extraire l’esthétique de la réalité infernale empreinte de douleur avec une forte nuance de grisailles existentielles, qui est celle du pays. 

Malheureusement, les consommateurs se retrouvent dans une spirale maudite ou l’imaginaire des artistes parodie le réel déjà médiocre. Fort de cela, ce serait juste de conclure que l’Art dans sa pratique profonde en Ayiti n’élève pas ou ne renforce pas l’aspiration à l’évolution des consommateurs immédiats.

Qu’on parle de musique, de théâtre, de peinture ou de sculpture, toutes ces disciplines servent de canaux pour véhiculer des messages qui n’invitent pas l’inconscient collectif à dépasser sa situation alarmante. Même le texte de chanson le plus engagé dans une démarche de dénonciation fait d’une manière latente et tacite l’apologie du statu quo macabre, en ce sens qu’il le mentionne. Ce qui me fait penser à cette anecdote sur mère Theresa qui a eu à décliner une invitation à une marche pacifique contre la faim, arguant que l’appellation de l’initiative aurait dû promouvoir le contraire de la faim, par exemple « une marche pour l’accès à la nourriture ».

Chez nous, la recherche de l’esthétique du chaos est encouragée à ceci que même les compétitions visant à booster la production artistique priment presque toujours des œuvres qui reflètent le plus fidèlement le chaos en présence. Déjà les thèmes retenus dans le cadre de l’organisation de diverses activités culturelles ou concours de chant ou d’écriture tournent autour du chaos ambiant. Une compilation de ces thèmes pendant ces quinze ou vingt dernières années pourrait constituer un récit des différents maux politiques, sociaux, climatiques, entre autres ayant frappé le pays dans cet intervalle.

A quoi s’attendre quand le chaos est une puissante source d’inspiration artistique ? Il va sans dire que l’impact se fera sentir sur l’imaginaire collectif des consommateurs qui, à force d’être constamment exposé au chaos dans l’abstrait et dans le concret, ne demeurera que morose, fade et terriblement sous-développé. 

Kensley Marcel

Crédit photo : Jean Marc Hervé Abelard 


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