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Le grand intellectuel haïtien Louis Joseph Janvier eût à dire « Haïti est  un singulier petit pays ». On ne devrait pas se faire de la bile sur le  qualificatif « petit » qui est bien  clair dans sa double connotation affective et géopolitique. Quant  au terme « singulier » associé à la nature profonde d’Haïti, on ne peut se dérober à la démarche intellectuelle qui s’impose pour approuver cette espèce de corrélation.  Se référant à la définition de l’adjectif, l’on serait en droit de conclure que pour singulier notre pays ne  l’est que trop. Un état qui s’explique, aussi et surtout, par l’anomalie qui ponctue notre histoire de peuple.

Cette singularité se manifeste dans plusieurs autres aspects de notre vie de peuple. Considérons le carnaval en Haïti  par exemple. Aussi vrai que  le carnaval renvoie à l’idée des masques, qu’il implique de jouer à être quelqu’un d’autre à travers les déguisements, il est aussi vrai qu’Haïti soit le seul pays où les gens sont constamment en mode carnaval. À la différence près, que ce dernier soit orphelin de l’étiquette festive et de l’euphorie. 

La dynamique d’aliénation puissante  et généralisée dans laquelle s’inscrit notre fonctionnement nous place, en tant que peuple, au centre de l’acception basique du mot. Ne sommes-nous pas toujours dans le faux  à travers nos actes, nos paroles et notre façon de vivre? Ne sommes-nous pas toujours enclin à laisser le mensonge de nos passions nous représenter à la face du monde? Sous l’impulsion d’un système pourri dans ses moindres compartiments, nous portons des masques pour cacher, tout le temps,  la noblesse de notre humanité. À force de les porter trop longtemps, on est convaincu d’être les mensonges qu’ils représentent. Les besoins et les aspirations  qui peuplent notre quotidien, à quelque niveau social qu’on puisse être, renforce le processus de « démounisation » qui se déroule au rythme de notre routine de vie.  Ce qui du coup, précise notre sinistre forme de carnaval.

Fort de cela, les jours baptisés « jours gras » ont perdu leur lieu d’être,  pourrait-on dire sans s’éloigner de la raison. Oui en effet. Puisque des masques sont toujours bien scotchés à nos visages à longueur d’année, (les masques du chômage, de l’insécurité de la misère) pourquoi en mettre d’autres à un moment particulier, pour un événement particulier soi-disant, choisi pour ça dans le calendrier ? Ce serait vain et abusif de superposer deux masques, car,  au moyen du premier, nous  étions déjà en train de cacher ce que nous sommes en affichant ce que nous ne sommes pas. Alors, il s’ensuit donc  que le second masque viendrait cacher  ce que nous ne sommes pas. Absurde. Pourquoi cacher avec un mensonge, le mensonge, malheureusement inébranlable, auquel on a eu recours pour cacher la vérité ? Cette vérité  qui veut que nous soyons des êtres humains à part entière avec des droits et des devoirs. C’est de la redondance idéologique. De ce point de vue il ne serait  pas une erreur de dire plus concrètement que le carnaval en Haïti est une espèce de pléonasme socioculturel. Du temps de Louis Joseph Janvier, un tel constat aurait servi d’occasion pour conclure effectivement que: « Haïti est un singulier petit pays ».

Crédit photo : chrisfort photography / Ministère de la Culture et de la Communication (Facebook)


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